le stéréotype

le stéréotype

Le stéréotype. Un joli mot, un rien compliqué, qui rappelle l’un des premiers procédés photographiques, le daguerréotype. D’ailleurs, les deux sens se rejoignent un peu. Le stéréotype est bien la fixation lente d’une image qui finit par être complètement plate.
On peut aussi parler de poncif, qui aurait comme acolyte : poussif, ou de cliché, nouvelle allusion photographique, ou encore lieu commun, lieu d’usage commun, cuisine ou latrines.

Plus simplement, image plate, poussive, et commune, notre pensée va vers les stéréotypes naturellement, comme la roue va dans l’ornière. Notre domaine de réflexion doit ressembler à ces champs cultivés. On commence à penser à quelque chose, une image en emmène une autre et puis soudain, paf, on se retrouve dans le sillon.
Nu féminin allongéLes Français ont des bérets, les Italiennes des gros seins, les Écossais portent des kilts, les Chinois des longues nattes. Les cantatrices sont grosses, les ténors petits et bruns, les gendarmes ont des moustaches, les institutrices des chignons. Et même, les maires de gauche ont des cravates roses, les anarchistes l’écharpe rouge, les présidents français sont décomplexés, les comiques sont en noir. Plus grave pour les conteurs, les fées sont habillées de voiles pastels. Les sorcières ont une verrue sur le nez. Les rois ont la morgue et les reines le dédain, les princesses sont jolies et captives, les princes un peu nigauds, les vieilles portent des fagots. Seuls les ministres ont quand même le choix d’être fidèles ou félons.
On pourrait continuer comme cela. Ces images nous sont rabâchées depuis l’enfance. On nous en parlait plus que des bonnes manières, de la géographie de la France ou de l’invention de la poudre.

C’est ainsi qu’elles ont creusé des ornières où l’imaginaire tombe à la moindre faiblesse.

Les stéréotypes semblent dire au conteur : « ne t’en fais pas, si tu n’as pas d’idée, je suis là ». Ils sont la parade du vide, le filet du silence, la tache de fond sans premier plan.
Sur la feuille blanche, quand on cherche une sorcière, on ne voit que la vieille et sa verrue. Elle prend tout le champ, on ne parvient pas à voir ce qui se cache derrière.

Comment faire ?

Il y a sans doute plusieurs réponses.
La première qui me vient est d’apprendre déjà à s’occuper d’elle, de l’image plate, éculée, mille fois revisitée. D’apprendre à la regarder vraiment, la sorcière avec ses verrues, ses hardes violettes et son menton en galoche.

Kalanidhi NarayananIl y a quelques années, j’ai eu l’occasion de faire un stage avec une grande figure du Bharata natyam, l’art de la danse qui était dévolu aux prêtresses de Shiva dans l’Inde ancienne. Kalanidhi Narayanan était une dame d’âge mûr, frêle et de petite taille, qui nous tenait sous sa bienveillante autorité. Elle nous enseignait toutes les classifications de l’art indien : il y a cinq types de mères, dix façons d’exprimer son amour, sept émotions primaires… Tout l’art était incroyablement cadré. Il y avait des façons uniques, avec des gestes et expressions particuliers, de dessiner tel ou tel personnage, avec telle émotion, dans tel contexte. Il semblait qu’aucune place n’était laissée à l’improvisation, ni même à l’interprétation.
À bout de nerfs, nous, les artistes français, nous efforcions de faire « la femme soumise », puis « le mari jaloux », puis « le taureau castré ». Nos corps étaient mis à l’épreuve, mais plus encore nos imaginaires, enfermés entre quatre murs, devenant agoraphobes.

Un jour, l’un de nous s’est révolté : « Vous nous dîtes sans cesse comment faire ce personnage, ou cette expression pour cette situation ! Mais c’est pauvre, limité ! Il y a mille façons de réagir. Nous nous sentons bridés ! Empêchés ! »
Un geste de Kalanidhi suffisait pour qu’on se taise et qu’on se retrouve assis les jambes croisées.
« Très bien. Vous dîtes que ce que je vous apprends, cet art que nous nous transmettons depuis des siècles, est un ramassis de clichés ». D’un geste, elle a suspendu nos dénis véhéments.
« Puisque vous savez faire des inventions, montrez-moi le comportement d’une personne qui tombe amoureuse dans le métro ».
Nous avons dû, les uns après les autres, nous y coller. Chacun mimait un personnage féminin qui soudain avisait un beau mâle dans le métro et réagissait en conséquence. Il a fallu nous rendre à l’évidence. Avec des différences, certes, nous avions tous fait à peu près le même jeu : regard au sol, puis regard furtif vers l’autre, éclair de feu dans la pupille, et à nouveau regard au sol. « Exactement comme le suggère la rencontre amoureuse, telle qu’elle est codée dans le Bharata natyam » a conclu simplement Kalanidhi.

Bharatanatyam mudraL’art indien est tellement codé qu’on pourrait en effet l’appeler un ramassis de stéréotypes. Le dieu Shiva, Ganesh ou Kali sont toujours interprétés de la même façon. Mais chaque artiste met son art ailleurs. Il n’invente pas, mais il revivifie. Il prête son corps, son énergie, son cœur, son expressivité à Shiva. Le dieu en devient tellement assumé, aimé, électrisé, qu’il fait éclater son stéréotype. Et, pour chaque performance d’acteur indien, on a envie de dire : quelle interprétation !

Sans doute pouvons-nous aussi, dans un premier temps, assumer les stéréotypes. Ils ont dû être une réalité assez tangible pour assez de monde pour qu’ils soient signifiants. Ok, le maire de gauche a une cravate rose. Je vais même y ajouter une patte de crevette, car un maire de gauche mange bien, et mange rose.

Dans un premier temps, on peut s’amuser avec le stéréotype pour créer le miracle : le ranimer, l’étoffer, le ramener de la deuxième à la troisième dimension. Pour cela, on doit s’intéresser à lui, le voir et le sentir jusqu’au moment où on sent le cœur arythmique de la sorcière sous ses hardes, ou le cerne noir qu’elle n’a que d’un côté. C’est alors un acte solennel et sacré, nous l’appellerons « la résurrection du cliché ».

Dans un deuxième temps, nous pouvons créer de nouvelles formes. Dès lors, la voie est libre pour pousser nos personnages jusqu’à l’archétype, qui est pour moi le contraire absolu du stéréotype.

Nathalie Leone

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Source des images : Portrait d’homme / Stéphane Geoffray — Nu féminin /Albert Fays — Kalanidhi Narayanan — Mudra indien / Suyash Dwivedi (cc-by-sa-4.0)

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Pour en savoir plus sur l’expression des émotions, vous pouvez lire ce billet : les émotions dans l’esthétique de l’art indien classique et voir les vidéos associées.

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